Game Design – No Go : Les murs invisibles

14 octobre 2018 Aucun commentaire

Invisible WallOn pourrait espérer qu’avec le temps certains défauts dans la conception de jeux vidéo seraient de moins en moins présents, ce n’est pas le cas des murs invisibles. J’ai eu envie de parler de ce problème après avoir fini Shadow Warrior 2 très récemment, un First Person Shooter/Brawler avec un petit aspect loot qui rappelle vaguement les Hack & Slash. De façon générale, ce qu’on entend par mur invisible, c’est un objet placé dans le jeu, invisible, qui va empêcher le joueur de passer. Il permet de facilement éviter que le joueur progresse dans des endroits où on ne souhaite pas qu’il aille, en « out of bounds » (OOB, fr : (de)hors des limites du jeu) par exemple.

Le piège du mur invisible

Comme dit, de par sa facilité de mise en place, on le retrouve régulièrement. Il nuit à la qualité finale de tout jeu vidéo dans lequel il se retrouve. Pour chaque mur invisible, il y a une autre solution préférable possible. Deux problèmes qu’un mur invisible pose :

  • Nuit à la cohérence du jeu et peut « sortir » le joueur de l’expérience qu’il est en train d’avoir.
  • Casse complétement les possibilités de gameplay émergent. Comprendre par là que le joueur va essayer d’utiliser les capacités qu’il a à sa disposition dans le jeu et qu’il se retrouvera frustré parce que le monde (je référence le level design ici) du jeu limite ses possibilités par des choix de design douteux.

Pour revenir sur Shadow Warrior 2, les murs invisibles sont omniprésents. Ça m’a plusieurs fois un peu ruiné le fun. Vous avez accès dès le début au double jump et à un dash à très faible recovery time (temps de récupération). Le level design fait usage de verticalité, et pourtant, vous ne pourrez pas sauter au-dessus de toits dans certains niveaux, la faute aux murs invisibles. A l’endroit où ils étaient, leur présence ne servait qu’une chose : estomper la peur qu’avaient les level designers à laisser trop de liberté au joueur.

Une autre fois, dans un niveau d’une quête secondaire avec 3 coffres à ouvrir (bounty Legendary Box), le 3ème était derrière une porte qui ne s’est ouvert qu’une fois 2 coffres récupérés. Cette porte était entourée de bien peu de roches. Au point qu’il était très facilement possible de passer, s’il n’y avait pas eu des murs invisibles absolument partout. S’il y avait une vraie volonté dans l’ordre de récupération des coffres, ce que je pourrais comprendre mais j’en doute sincèrement pour cette quête anecdotique, un simple ajout de roches et la prolongation éventuelle du pont qu’il y avait devant la porte pour éloigner cette partie du niveau du reste aurait suffi pour que le dash ne suffise plus à l’atteindre.

Quelles solutions ?

Quand le jeu est relativement bien fait, les murs invisibles ne seront pas rencontrés par la plupart des joueurs. Ce n’est néanmoins pas une raison pour les utiliser. Dans les 2 exemples avec Shadow Warrior 2, ces murs n’ont servi littéralement à rien. Je n’allais pas me retrouver bloqué ou autre résultat indésirable pour le bon déroulement du jeu. Pour des cas plus délicats, qui sont surement les plus fréquents, il y a tout de même plein de solutions. Liste non exhaustive :

  • Limiter visuellement les endroits apparaissant comme accessibles avec les capacités de mouvement du joueur. Des barrières, montagnes / roches ou murs un peu plus hauts peuvent suffire à dissuader de passer à des endroits indésirables, voire à bloquer complétement les passages.
  • Mettre des points de passages obligatoires. Vous allez énerver les speedrunners, mais si ces triggers (déclencheurs) sont nécessaires, leur simple existence empêcheront de « casser » un peu trop le jeu.
  • Vérifier l’état du joueur à certains instants, par exemple au chargement d’une sauvegarde ou d’un checkpoint (point de contrôle). Si un élément nécessaire dans la suite du jeu lui manque, lui donner.
  • Donner la possibilité de revenir au dernier checkpoint, voire de se débloquer. Il m’est arrivé d’être bloqué dans un plafond/toit durant ma partie de Shadow Warrior 2, la mission a dû être relancée du début.

Un cas pratique : Dear Esther

Un autre jeu utilisant abondamment les murs invisibles : Dear Esther. Une « expérience » narrative, sur des rails. Vous ne pouvez pas sortir du chemin tracé et il n’y a pas de saut. Vous avancez, lentement, pendant plus d’une heure en écoutant une histoire qui vous est narrée. On pourrait se dire que l’absence de saut permettrait plus facilement de se passer de murs invisibles. Ils ont pourtant été bien trop utilisés ici.

La problématique est assez simple : Il y a une histoire à raconter dans un certain ordre, avec différents points de passage déclenchant la narration de la suite de l’histoire. Donner trop de liberté au joueur, c’est risquer de rater des points de passage, des endroits du monde, etc. Mais ce risque ne vaut-il pas le coup d’être pris ? D’autant qu’il y aurait différentes façons de permettre aux joueurs d’explorer tout en profitant de l’histoire intégralement :

  • L’absence de saut facilite le blocage d’une trop grande exploration non souhaitée.
  • La vérification de l’état du joueur (périodique ici par exemple avec un facteur temps) permettrait de vérifier si des bouts d’histoire qui auraient dû être narrés ne l’ont pas encore été, et de les narrer le cas échéant.
  • La possibilité de revenir au dernier checkpoint. Si le joueur est parti explorer un peu trop loin et qu’il est perdu ou autre, lui permettre de revenir sur le chemin souhaité reste moins intrusif que des murs invisibles.
  • Si des points de passages sont vraiment obligatoires, il est possible de forcer à les prendre dans l’ordre et à les rendre inactifs si le joueur n’a pas pris un ou plusieurs des précédents. En indiquant au joueur d’une façon élégante qu’il n’est pas où il devrait être, ici en narrant quelques lignes ou en faisant parler votre personnage, et qu’il devrait revenir sur ses pas (de lui-même, ou via une option pour revenir au dernier checkpoint). Le joueur devrait savoir quand il a dévié du chemin souhaité, ou en tout cas qu’il en a dévié.

Une parenthèse sur le manque de cohérence

Je terminerai cet article sur un point que je trouve important et qui pour l’instant n’est encore qu’à l’état d’embryon de par la complexité à mettre en place une telle chose : la cohérence. Ici je parle de celle qui dicte ce que vous pouvez ou non faire dans un jeu. À peu près tous les jeux en manquent. Et c’est ce qui pour moi permettra à terme de faire grandement évoluer les jeux vidéo. Si vous avez déjà joué à Dark Souls, vous comprendrez directement de quoi je parle. Sinon, imaginez-vous l’impossibilité de franchir un obstacle de la taille d’un petit muret quand (pour schématiser) vous décimez des armées de démons, tombez de plusieurs mètres sans mourir, etc. C’est le premier exemple qui me vienne en tête, mais il y en a énormément. Au hasard : les clefs à utilisation unique, les portes à l’apparence très fragile que vous ne pourrez pas ouvrir sans clef (même avec votre hache en titane +15), les portes à absolument ouvrir pour avancer quand il suffirait de casser une vitre, et j’en passe.

J’aimerais citer Darksiders II. Pour y avoir joué récemment mais ce n’est malheureusement pas le seul à contenir ce genre d’absurdités : Vous pouvez courir sur les murs et faire plein d’autres acrobaties mais la totalité des interactions à ce niveau sont exclusivement possibles aux endroits où ça a été voulu. Autrement dit, si vous n’avez pas de corniche en bois sur un mur, vous ne pourrez pas vous accrocher sur ce mur, même s’il est à votre hauteur et que vous devriez pouvoir. Alors c’est massivement utilisé pour indiquer le chemin, mais ça détruit complétement toute improvisation, hors glitch / bug notamment utilisés dans les speedruns (et les Darksiders n’en manquent pas).

Je n’ai pas d’exemple qui me vient parmi tous les jeux auxquels j’ai joué qui serait digne d’être cité pour sa cohérence telle que décrite ci-dessus (je n’y prêtais pas forcément attention à l’époque non plus, peut-être que Jak & Daxter irait, ou d’autres). En revanche par rapport à ce que j’ai pu voir, peut-être que The Legend of Zelda : Breath of the Wild vaut la peine d’être cité pour l’effort fourni sur ce point.

NB : La recherche de cohérence n’est pas une raison suffisante pour mettre en place des mécanismes qui pourraient diminuer le plaisir de jeu. La durabilité des objets, la faim, la fatigue, … ne sont pas à mettre dans tous les jeux sous prétexte de cohérence, clairement.

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